À Vol d’Oiseau

Entretien

Afghanistan – La Torture Est la Marque de Fabrique des Interventions Étasuniennes

Dans cette interview avec Edu Montesanti, M. Friba, représentant de l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan (RAWA), parle de la décision de la Cour Pénale Internationale d’enquêter sur les crimes commis par toutes les parties dans ce pays d’Asie centrale depuis le 1er mai 2003. Il n’existe aucun signe montrant que les crimes étasuniens ont cessé en Afghanistan.

Avril 2018

Edu Montesanti : Le procureur en chef de la Cour Pénale Internationale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé que des motifs raisonnables laissent penser que les forces étasuniennes ont commis des crimes de guerre pendant l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan. D’après le rapport transmis par le procureur Bensouda, les militaires étasuniens ont soumis au moins 61 détenus, à la torture, à des traitements barbares et à des atteintes à la dignité humaine. La plupart des faits se seraient passés entre 2003 et 2004 et auraient continué jusqu’à fin 2014. Entre décembre 2002 et mars 2008, tant en Afghanistan qu’en Pologne, Roumanie et Lituanie, au moins 27 détenus auraient aussi subi des traitements similaires de la part de membres de la CIA. Que pensez-vous de ces faits ?

M. Friba: Tout au long de leur histoire, partout où les États-Unis ont envahi ou sont intervenus, ils ont usé de méthodes de torture inhumaines pour intimider et étouffer les insurrections.

Tous ceux qui connaissent l’histoire sanglante des États-Unis, en particulier dans les pays d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est, savent que la CIA a non seulement torturé – et à la fin tué – des intellectuels, des gauchistes et des nationalistes de ces pays, et elle a formé ses régimes fantoches réactionnaires et criminels pour qu’ils appliquent les mêmes méthodes. Les puissances impérialistes européennes, ces loyaux alliés des États-Unis, ont employé les même méthodes dans les pays sous leur domination.

En Afghanistan, la dite « guerre à la terreur »menée par les États-Unis, s’est aussi accompagnée de créations de centres de détention de sites secrets gérés par la CIA, pour les transferts illégaux de son programme « extraordinary rendition».

Dissimulée sous le nom « techniques d’interrogatoire améliorées » pour tromper le public sur la nature inhumaine de ces traitements, la torture systématique a été et est toujours couramment utilisée contre les détenus afghans. Dans certains cas, les détenus sont remis aux services de renseignement ou de police afghans, bien connus pour leur implication dans la torture.

Le Sénat a obtenu des rapports déchiants, des photos horrifiantes de la prison d’Abu Ghraib en Irak, des histoires terrifiantes sur des prisonniers de Guantánamo Bay et des dizaines de témoignages sur les victimes du programme de transfert illégaux de la CIA. Tout cela a ébranlé la conscience du monde, mais rien n’indique que ces crimes n’ont plus cours.

L’approbation tacite de l’Union européenne à l’installation dans ses États membres de centres de détention secrets, qui ont servi au programme de transferts illégaux de la CIA, la rend complice des tortures choquantes infligée aux victimes. Malgré les informations crédibles sur les victimes et leurs récits bouleversants, ces centres de détention ont été exploités pendant des années et il n’y eu ni vraie enquête, ni poursuites judiciaires appropriées dans les pays concernés.

Le rapport de la CPI mentionné est l’un des rares témoignages sur ces pratiques institutionnalisées, qui ont continué tout au long des guerres étasuniennes dans les dernières décennies. La destruction de preuves par la CIA en 2005, et le classement secret du rapport du Comité sénatorial du renseignement sur les tortures de la CIA, est l’attitude adoptée officiellement par les États-Unis devant ces graves crimes.

Dans les affaires de ce genre, les enquêtes et les poursuites sont faites par l’armée étasunienne elle-même, et comme il fallait s’y attendre, ceux qui sont impliqués sont soit acquittés, soit condamnés à des peines qui ne sont rien d’autre qu’une tape sur le poignet.

La torture est la marque de fabrique des invasions et des interventions étasuniennes. Comme l’a montré l’invasion de notre pays, cela ne surprend plus et ce n’est plus une révélation que ces crimes horribles soient commis partout où des Étasuniens posent les pieds.

RAWA dénonce souvent des crimes contre les civils. Pouvez-vous détailler les crimes contre les prisonniers en Afghanistan ? Pensez-vous que la CPI doit enquêter sur les forces étasuniennes et la CIA pour d’autres crimes en Afghanistan ?

Les crimes de guerre étasuniens en Afghanistan vont du massacre à la détention illégale, en passant par la descente nocturne et la torture. Les centres de détention gérés par la CIA en Afghanistan sont top secrets et peu d’informations sortent de ces sites. Le plus grand centre de détention de gens arrêtés par les États-Unis se trouve sur la base aérienne de Bagram, près de Kaboul.

Peu d’informations sont sorties sur l’état de la prison, et même le nombre de prisonniers n’a pas été indiqué précisément. Selon certaines estimations, il y a 600 prisonniers, la plupart n’étant pas inculpés et n’ayant ni accès à un avocat, ni à un procureur.

Les quelques documents levés du secret du rapport du Comité sénatorial du renseignement sur la torture de la CIA, détaillent les techniques de torture utilisées dans le centre de détention. Connues sous le nom de code Cobalt, ces techniques incluent le passage à tabac, la mise aux fers suspendu au plafond, l’immobilisation des prisonniers, la mise en sommeil prolongé, la privation de nourriture, l’imposition de postures inconfortables pendant de longs moments, et l’introduction de liquides nutritifs par l’anus, méthode dite « alimentation rectale. » L’usage de chiens pour violer les prisonniers afghans, est la révélation la plus choquante décrite par les témoins.

Plusieurs témoins ont raconté la manière dont ils avaient été torturés ou ce qu’ils avaient vu. En 2002, deux prisonniers afghans innocents, Habibullah et Dilawar, ont été tués de manière horrible sous la torture de militaires étasuniens sous les ordres de Gul Rahman. Abandonnés dans le froid, ils sont morts d’hypothermie pendant la nuit.

D’autres victimes ont raconté l’horreur qu’elles avaient vécue en détention, mais aucun rapport officiel complet n’a été publié au sujet du cachot où elles ont été détenues. Même la délégation envoyée sur ce site de détention pour enquêter sur les allégations de torture, a fermé les yeux sur les conditions dans ce site et a conclu que ce n’était « pas inhumain ».

Le manque de vrai appareil judiciaire national afghan, les limites des moyens de la CPI elle-même et ses mauvais résultats quand elle poursuit un pays ou un personnage puissant, n’est malheureusement pas très optimiste pour les victimes afghanes innocentes qui voudraient obtenir justice par l’intermédiaire de cette cour.

Bien que le remède à la torture consiste à l’empêcher et que rien n’indique que les chose vont dans ce sens, rendre la justice à tout moment de la vie de la victime lui assure un certain degré de paix et tourne la page. Mais les victimes afghanes risquent fort d’être privées de cela.

Les États-Unis n’ont pas ratifié le statut de Rome qui les place sous la juridiction de la cour. Le président George W. Bush a renoncé au traité en évoquant la crainte que des Étasuniens seraient injustement poursuivis pour des raisons politiques. Qu’en pensez-vous ?

Les États-Unis n’ont pas ratifié plusieurs traités internationaux importants. Ils ont donné pour prétexte des raisons similaires à celle mentionnée ici. La véritable raison est que la ratification de ces traités, avec leurs tribunaux associés, les gênerait pour réaliser leur ambition hégémonique. Les limitations imposées par les États-Unis à leurs propres citoyens par des lois concernant différentes questions, montrent cette réalité, et ils appliquent aussi cette politique sur la scène internationale.

Cela dit, nous ne devons pas oublier que la justice est systématiquement étouffée par les puissances impérialistes quand leurs intérêts égoïstes sont en danger. L’UE qui a ratifié le statut de Rome et des dizaines d’autres traités relatifs aux droits de l’homme, et qui se prétend porteur du flambeau des droits de l’homme dans le monde d’aujourd’hui, a participé au programme « extraordinary rendition » de la CIA et accepté la présence des sites secrets dans ses États membres.

Les crimes commis dans ce programme ont été décrits par des témoins, mais aucun des pays n’a fait l’objet d’enquête appropriée des tribunaux de l’UE ou de la CPI. Nous constatons aujourd’hui que ces traités, institutions et tribunaux, ont été réduits à des sigles vides, faisant d’eux des spectateurs des violations des droits de l’homme commises par les puissants pays.

Avec leurs slogans de justice et des droits de l’homme, les puissances occidentales, en particulier des États-Unis, sont extrêmement hypocrites. Ces puissances ne proposent ni assistance ni recours aux victimes, car elles sont elles-mêmes les véritables auteurs de ces crimes.

Aller à la couverture dÀ Vol d’Oiseau

Aller à la page d’accueil